Le bon médium et le mauvais médium

L’actualité est vraisemblablement calme pendant ce long pont de mai. L’édition ariégeoise de la Dépêche du Midi s’interroge : comment démêler le vrai du faux quand on parle de médiumnité ? « Le mauvais médium, il voit un pigeon, il tire ses cartes… c’est un mauvais médium, ça se voit tout de suite. Quant au bon médium… » Un cas d’école dont j’interroge la responsabilité.

L'EXCÈSMÉDIASPSEUDO-SCIENCES

5/10/20245 min lire

Fortune Teller (Balatro)
Fortune Teller (Balatro)

Par moments, l’algorithme de Google Actualités propose des contenus de blogs ou des publicités déguisées en articles d’information. Aujourd’hui, je vois passer « Médiumnité, magnétisme, comment démêler le vrai du faux ? Un… ». Je commence déjà à l’ignorer quand un détail me retient : c’est en fait un article de La Dépêche du Midi. Ça y est ? Enfin, la presse locale donne la parole aux défenseurs et défenseuses de l’esprit critique et de la méthode scientifique ? Je suis curieux, je clique. Je vois la fin du titre : « … médium nous répond ».

Entre évidences, flous et énormités, un entretien complaisant

L’article est donc finalement un entretien avec Raphaël Henri, médium local dont la légitimité est solidement ancrée dans sa « relation avec le monde spirituel depuis ses 7 ans ». Comme on pouvait s’y attendre, le contenu en lui-même n’est pas d’un grand intérêt. On reste dans de la très classique promotion naïve des pseudosciences : les questions reprennent les stéréotypes répandus sur ces pratiques, et le médium y répond de manière plus ou moins directe. L’article se distingue quand même par sa densité particulièrement élevée en n’importe quoi. Petit florilège :

- « Si j’affirme à une personne qu’elle va trouver sa moitié cette année, il ne faut pas qu’elle arrête de sortir de chez elle […] le message transmis peut être faux dans cette condition » : un bel exemple de prédictions irréfutables. Si la prédiction ne se réalise pas, c’est que la personne a modifié son comportement. Pile, je gagne, face, tu perds.

- « des entités », « des messages », « la communication spirituelle », « le monde surnaturel », « des ressentis » : les concepts ne sont ni explicités, ni même interrogés dans l’entretien, alors qu’ils semblent centraux dans l’explication du don. C’est une manière commode de laisser le lecteur dissiper lui-même le flou d’une manière qui a du sens pour lui (les initiés auront reconnu l’effet Barnum).

- « les communications sont claires. Je guide alors les clients » : la formule choisie a le mérite de la clarté. Les initiés savent que la médiumnité repose notamment sur la « lecture à froid », une technique consistant à observer les réactions à des affirmations vagues et générales pour en déduire des informations de plus en plus spécifiques. Un aveu ?

- Au milieu de banalités, le médium/magnétiseur prétend quand même à demi-mot pouvoir contacter les morts (ou en tout cas « des entités ») et affirme avoir prédit l’épidémie de Covid-19, même si, modeste, il avoue ne pas être « un bon Dieu, car si on en était, on ne serait pas sur Terre ». Perle de sagesse. Evidemment, ce serait drôle si personne n’était vulnérable à ce genre d’artifices.

- Mon passage préféré : à la question du charlatanisme, notre médium balaie : « on peut reconnaître un charlatan aux bêtises qu’il peut communiquer et au prix onéreux des séances ». Lui, charlatan ? Impossible : « Il m’arrive même de ne pas me faire payer. » Une preuve irréfutable qui conclut l’article.

Défaillance dans la chaîne de production de l’information

Cet article n’est pas dramatique : au moins, il ne propose pas aux personnes désespérées ayant perdu leurs proches de les contacter par voie de médium. Mais même s’il reste plutôt bénin, il agit comme un révélateur.

Le médium ne faisait que répondre à des questions complaisantes. L’autrice est une stagiaire en première année d’école de journalisme. Je préfère ne pas donner son nom, qui est de toute façon disponible sur l’article. Certes, d’un côté, il faut souligner les atteintes à la déontologie. Pour autant, il ne me paraît pas pertinent de lui faire porter la responsabilité de ce quasi-publireportage. Déjà parce qu’elle est encore en rodage, et que tout le monde a le droit à l’erreur. Mais surtout parce que, stagiaire ou pas, les journalistes ne sont qu’un maillon dans la chaîne de production et de distribution de l’information. C’est cette chaîne toute entière qui est défaillante quand je vois s’afficher cet article sur mon téléphone.

En amont de la production, l’école de journalisme, en l’occurrence l’ISCPA de Toulouse, ne s’est vraisemblablement pas assurée que ses étudiantes et étudiants étaient correctement équipés contre les pseudosciences avant de les envoyer en stage. Quel est le volume horaire consacré à la question des pseudosciences ? J’ai contacté l’ISCPA et j’ajouterai sa réponse éventuelle en fin d’article.

Pendant la production, la rédaction de la Dépêche du Midi n’a pas jugé bon d’écarter l’article, ou ne serait-ce que d’y apporter des nuances ou un contre-discours plus sceptique des pratiques mentionnées. Pourquoi ne pas impliquer des journalistes scientifiques sur ce genre de thèmes ? Quelles formations sont-elles proposées aux journalistes pour éviter un enthousiasme trop rapide en faveur des pseudo-sciences ? Qui a pour rôle de vérifier la conformité de l’article avec la déontologie journalistique ? De la même manière, je publierai ici les réponses qui me seraient apportées.

En aval, la diffusion de l’information pose aussi problème. Les algorithmes d’agrégation d’actualités n’effectuent-ils aucun tri sur les informations qu’ils mettent en avant ? On peut se demander s’il ne faudrait pas davantage de postes dédiés à cette mission, voire des journalistes spécialisé(e)s.

Quand on la remet en perspective, la faute de l’autrice est la moins grave et la moins inquiétante dans toute la chaîne de production de l’information. Au-delà des institutions et acteurs directement impliqués, ce problème devrait aussi nous alerter sur l’éducation aux sciences et aux médias. On pourrait même ouvrir plus clairement le débat de la régulation du marché de l’information par la hiérarchisation de l’information. Les informations produites selon un certain standard de qualité seraient alors mises en avant plutôt que d’autres. Il me semble que la hiérarchisation constitue le bon compromis entre le droit de la presse à s’exprimer librement et le droit à une information de qualité.

Bien sûr, si cet article vous a agacé, il existe un conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM), mais il ne produit que des avis. C’est peut-être une partie du problème.
Pour éviter ce genre de naufrages, le CDJM a tout de même publié une liste de recommandations utiles, parmi lesquelles : « Dans le doute, s’abstenir »...
Ce serait un début.